Les enfants

La naissance de nos trois garçons et leur éducation nous ont procuré un bonheur infini : ils ont mobilisé nos vies respectives, ouvert et enrichi notre foyer, ils restent notre fierté.

Bernard Pierre, notre aîné, est arrivé le trois mai 1962.

Benoît Jean-Charles est né le six mars 1965 et enfin Pierre Dominique le vingt juillet 1971.

Ils sont tous nés à la clinique des Teinturiers, allée Charles de Fitte à Toulouse et dans la même chambre !

Ces trois grossesses normales ont favorisé le maintien de l’activité professionnelle de Pierrette jusqu’à leur arrivée facilitant en cela une plus longue période de présence après l’accouchement.

Elle a ainsi pu les allaiter pendant près de quatre mois. Ils sont passés sans transition du lait maternel au lait de vache et bouillon de légumes ! Par contre trois césariennes ont caractérisé ces naissances.

Ce fut une surprise pour la première, précédée avant la prise de décision d’une surveillance médicale intense nécessitant de nombreux et fréquents déplacements à Toulouse pendant quinze jours. Dès lors le diagnostic d’une intervention chirurgicale à venir était posé.

Ce furent pour moi des heures difficiles appelées à se renouveler. À la fois frustré et heureux, je restais inquiet et en attente dans cette fameuse même chambre portant le numéro 20 et ce pour chacune des naissances.

À part la relative déception d’un accouchement non naturel, les grossesses ont été vécues sans embûches. Concernant Bernard, il y a peu d’évènements singuliers à raconter si ce n’est quand même deux anecdotes : la peur d’un chien et le « genu valgum ».

Après notre mariage nous étions allés chercher un chiot berger allemand dans un élevage audois tenu par des amis. Cet animal, prénommé « Hello » était devenu le compagnon par excellence qui occupait toute sa place. La promenade quotidienne et des exercices de dressage étaient même l’un des principaux loisirs des uns et des autres. Je revois encore mon père promener très régulièrement ce chien.

Dès l’installation de notre nouveau-né dans notre petit espace, la cohabitation avec Hello devenait préoccupante et ressentie menaçante par Pierrette au regard de la sécurité du bébé. Très rapidement nous avons décidé avec peine et regrets de le confier à la Société Protectrice des Animaux.

On verra par la suite que nous avons fini par céder à l’envie d’avoir auprès de nous et des enfants, désormais plus grands, d’autres animaux.

Dans l’année qui a suivi l’accouchement, le bébé était suivi par un pédiatre toulousain, le Docteur Auban.

Pierrette était en ce temps-là bien au fait des anomalies possibles pouvant affecter un enfant et commença à suspecter chez lui les signes d’un probable « genu valgum ».

Ceci fut confirmé à la fois par le pédiatre et par notre médecin traitant le Docteur Biboulet. Lors d’une visite mensuelle un médecin remplaçant, le Docteur Arbus, s’est mis en relation avec un confrère qui pouvait traiter rapidement cette affection. Ce médecin, devenu par la suite un professeur éminent spécialiste des maladies du sommeil, examina Bernard et prescrit une immobilisation.

C’est ainsi que, alors que Pierrette était enceinte de Benoît, Bernard s’est retrouvé à dix-huit mois avec les jambes entièrement plâtrées durant tout l’été et jusqu’au mois d’octobre pour l’obliger à marcher bien droit.

Cet épisode n’a pas été facile à supporter, cela nous avait un peu traumatisés et même si Bernard semblait bien supporter cette épreuve, nous n’étions pas ravis de le voir ainsi, d’autant qu’il a dû ensuite dormir avec des attelles, jambes attachées, pendant près d’un an.

On dit souvent que les enfants n’ont de vrais souvenirs qu’à partir de trois ans, ce doit être bien vrai, car Bernard que nous pensions un peu affecté par cette période, n’en a semble-t-il aucun souvenir !

Tout est bien qui finit bien puisque aujourd’hui on constate qu’il n’a pas eu à souffrir de cette déformation mais il est vrai que le fait que le spécialiste nous ait avoué plus tard qu’il ne pratiquait plus ce type de correction n’a pas été de nature à nous rassurer.

C’est un peu le lot des parents de s’inquiéter de la santé de leurs enfants. Nous n’avons pas dérogé à la règle. Pierrette a eu l’occasion ainsi et pour chacun d’entre eux d’être souvent préoccupée. À ce moment-là, moi je travaillais beaucoup au magasin avec mon père et ma mère qui était elle tout aussi affairée.

Pierrette avait repris le travail mais elle arrivait malgré tout à allaiter l’un puis l’autre.

Souvent on se dit «mais comment avons-nous fait pour nous occuper de trois enfants, tout en les allaitant et en travaillant à temps bien plein à côté ? » Heureusement nous étions bien secondés.

Il y avait bien sûr une aide ménagère qui s’occupait de la maison mais en plus, nous avions deux voisines âgées et adorables qui servaient de deuxième et troisième grands-mères, voire presque de première tant elles se montraient disponibles. L’une était l’ancienne hôtelière-restauratrice de Daumazan et son amie, veuve également, l’avait rejointe lors de la disparition de son conjoint.

Ces dames qui devaient être septuagénaires en ce temps-là, ont vu arriver avec bonheur ce nouveau foyer qui a donc donné naissance à trois petits bambins en quelques années.

Elles étaient ravies de nous proposer leur aide et rapidement nous nous sommes liés d’amitié.

Marguerite Bertand était devenue pour les enfants Mamie Can, on se demande bien pourquoi et Françoise Landrieu, Mamie Fafa, là par contre en lien direct avec son prénom.

Nous partagions nos joies et nos peines. Si nous avions besoin de la moindre aide, elles répondaient toujours présent, jusqu’aux cataplasmes à appliquer aux enfants lorsqu’ils étaient malades ou la garderie d’avant messe.

J’ai le souvenir qu’elles ont eu assez tôt la télévision et quand des évènements importants survenaient comme celui de l’assassinat de JF Kennedy, nous allions passer la soirée avec elles.

Ce jour-là d’ailleurs, nous étions tellement captivés par le reportage que nous avons relâché momentanément la vigilance et Bernard en a profité pour mettre « sa main au feu ». Il n’avait rien à jurer de particulier selon l’expression consacrée mais il a pourtant mis sa main dans les cendres brûlantes dès ses dix-huit mois. Sa façon à lui, dont il s’est souvenu quelque temps, de manifester son émoi devant cet événement.

Nous étions le 23 novembre 1963.

À l’occasion de grands évènements de la sorte, on se souvient généralement de ce que l’on vivait à ce moment-là. La personne qui nous interviewe en ce moment, pour réaliser ce livre, a déclaré que lui était grippé ce jour-là.

On était en train de lui appliquer un cataplasme lorsque le « transistor Philips » de l’époque annonçait la nouvelle. Il a toujours fait le lien entre ses dix ans et ce tragique accident. Il est fort probable que Bernard, bien que ne se souvenant pas de l’annonce de l’assassinat de Kennedy, fasse ainsi une association entre l’âge, les cendres, sa brûlure et Kennedy !

J’imagine que les enfants auraient beaucoup de choses à dire, des souvenirs bien sûr et sans doute même des ressentis à exprimer, suite à la présence de ces mamies dans leur vie.

On connaît la place qu’occupent les personnes âgées dans la construction des enfants et nul doute que Can et Fafa ont eu une part non négligeable dans le façonnage des personnalités et sensibilités de chacun même si bien sûr il y avait d’autres adultes autour d’eux.

Fafa, brillante musicienne, jouait divinement du piano. Grâce à elle ils ont pu s’initier à cet instrument exigeant. Les autres grands-parents étaient comme la plupart à cette époque des personnes âgées un peu austères, du moins plutôt intériorisées. Il est certain que Can et Fafa ont apporté autre chose mais je ne saurais dire jusqu’où une empreinte s’est formée : une touche maternelle upplémentaire ?

Un apport rassurant complémentaire ?

Un éveil différent ?

Ce qui est sûr c’est qu’elles les ont un peu influencés et plutôt en bien !

De la recette de la tarte aux pommes de Can qu’ils se sont appropriée, aux leçons de piano de Fafa, assurément il reste de nombreuses choses.

Ces dames se sont régulièrement occupées à leur tour d’Alain, un arrière- petit-neveu de Madame Landrieu, dont les parents forains à Toulouse étaient peu disponibles.

Pendant un temps, Alain est resté plusieurs mois à Daumazan au point de passer ici son BEPC.

Ces trois personnes ont beaucoup compté dans nos vies, nous étions très proches. Alain, ancien avocat d’affaires est depuis plusieurs années à la retraite.

Un jour alors que je me trouvais en région parisienne, j’ai eu la joie d’être accueilli chez lui dans sa famille et bien sûr nous avons très tôt évoqué sa seconde patrie et les souvenirs communs.

Comme nos enfants, il a beaucoup été marqué par l’ambiance chaleureuse daumazanaise au point d’écrire lui aussi un livre intitulé « À la croisée des chemins » dans lequel il évoque son enfance heureuse dans ce village si attachant. Il cite même, preuve de plusieurs souvenirs, l’aide de Pierrette pour la préparation du BEPC et m’assimile à son grand frère.

Mais revenons à nos enfants.

Pierre, notre troisième fils, est arrivé neuf ans après Bernard et six ans après Benoît. Évidemment cet écart d’âge ne lui a pas permis d’avoir avec eux les relations qui unissent les enfants rapprochés, pour le pire -les bagarres et chamailleries- et pour le meilleur -la compétition et la complicité. Il a d’ailleurs eu l’occasion parfois d’exprimer son regret à ce sujet.

Entre Bernard et Benoît, la compétition était bien présente, le cadet des deux n’a jamais trop eu l’intention de s’en laisser conter.

Toute position dans une fratrie, de l’aînée au benjamin, crée des différences.

Les parents portent souvent sur l’aîné un niveau d’exigence à la mesure de l’espoir et des responsabilités nouvelles que son arrivée fait naître. Nous n’avons pas échappé à cette posture, l’aîné devant forcément être exemplaire et porter haut les valeurs fraternelles.

Le « puîné »5 que l’on nomme aujourd’hui plus souvent le « cadet » lui, doit se battre pour exister par lui-même.

L’aîné est réputé plus fort physiquement, il ne manque d’ailleurs pas en général de le faire savoir au second et le cadet doit souvent apprendre à se défendre ou montrer qu’il est tout aussi capable.

De là à ce que le cadet cherche à faire la preuve de sa supériorité il n’y a qu’un pas. C’est ce qui se jouait souvent entre eux dans les matchs de rugby ou de tennis.

Dans le même temps évidemment, lorsqu’on partage pendant vingt ans les vacances dorées à Capbreton, des clubs Mickey au départ, jusqu’aux flirts d’adolescents, on baigne dans de grands moments d’apprentissage, de socialisation et on en garde des expériences et des souvenirs uniques et partagés.

Le benjamin lui, pourrait être plutôt celui auquel on pardonne beaucoup.

Dans l’intervalle les parents ont appris à moins s’inquiéter, à mettre moins de pression qu’ils mettaient souvent par peur de ne pas réussir, peur de la maladie, de l’accident, peur de ne pas être suffisamment en responsabilité, il n’en faut pas plus pour que le niveau d’exigence monte très haut pour le premier et descende plus bas pour celui que l’on a coutume d’appeler le petit dernier.

Nous n’avons pas échappé à cette règle, somme toute bien compréhensible. L’important étant qu’à la fin un réel et profond sentiment filial et fraternel subsiste ce qui, je pense a été réussi.

Pierre donc, a bien sûr et peut-être aussi en compensation de toutes ces différences, bénéficié de toutes les attentions. Il a été élevé un peu tel un enfant unique.

Madame Nègre, l’ancienne boulangère du village, une autre voisine qui avait deux filles déjà grandes, a subitement perdu son mari un peu avant la naissance de Pierre. Elle s’est montrée très disponible pour s’occuper des trois garçons.

Elle a été leur nounou et pour Pierre, alors bébé, elle est devenue une autre grand-mère maternelle.

Pierrette et moi voulions des enfants qui portent haut les valeurs de la famille : les valeurs morales, des valeurs d’application et de travail.

Sans doute leur avons-nous fait peser sur les épaules le poids d’une attente forte. Pierrette s’est montrée exigeante. Les enfants ont suivi ses demandes.

Non sans rechigner quelques fois. Elle tenait par exemple à ce qu’ils apprennent la musique. Ils ont tous pris des cours. Bernard allait jusqu’à Pamiers pour les suivre, mais quand il a eu passé son Baccalauréat, à dix- huit ans, tellement lassé par ces années de durs efforts, il a dit « bon, tu vois maman, j’ai fait ce que tu voulais, j’ai appris à jouer du piano, mais maintenant c’est terminé et il a tout arrêté ! ».

De mon côté, il m’arrivait d’en rajouter en confirmant chaque fois que nécessaire, que l’enfant pouvait faire mieux.

Mon père avait agi comme cela avec moi. Quand je faisais bien il ne le disait pas toujours, il se concentrait sur ce qui pouvait être mieux fait. Cette méthode ayant été plutôt bénéfique, il m’est resté ce même réflexe : ne pas encenser un enfant afin qu’il ne se croie trop tôt arrivé, l’encourager certes, mais attendre plus. C’était une autre forme d’exigence. Cela fait beaucoup mais finalement, nous n’avons sans doute pas trop mal réussi même si bien sûr parfois, comme dans toutes les familles, fusent des petites remarques à propos de cette tendance.

Toute cette période de vie de famille était tout à fait équilibrée et joyeuse.

Bien sûr le travail occupait une forte place. Il est difficile d’être disponible lorsque l’on tient un commerce. Quand les enfants et Pierrette partaient à la mer, je faisais le trajet, souvent accompagné de notre chien, mais je ne restais que quelques jours, je serais bien resté plus de temps mais ce n’était pas possible et on se consolait en se disant que l’on se rattraperait plus tard.

Quelque temps après, dès la classe de 4e, les enfants partaient à l’étranger dans des systèmes d’échanges entre « correspondants ». Ces vacances-là ont été tout aussi formatrices, peut-être même leur ont-elles donné l’envie de visiter le monde car plus tard ils ne s’en sont pas privés.

Lorsque ma belle-mère a vendu son commerce de Campagne elle est venue vivre à Daumazan, à côté de chez nous.

Elle possédait un chien que connaissaient déjà les enfants et qui est devenu leur compagnon privilégié jusqu’au moment où, malade, il est décédé.

Nous nous sommes occupés de l’enterrer et les enfants qui étaient alors présents ont été fort malheureux. On ne pouvait faire autrement que de tenter de compenser cette peine et avons décidé de leur offrir un autre chien.

Nous sommes donc allés chercher Ossau, en référence au Pic Pyrénéen d’Ossau, un magnifique patou, un chien des Pyrénées, élevé dans une ferme au-dessus du village. Ossau a accompagné leur vie et la nôtre pendant près de 13 ans.

Nos amies les bêtes nous apportent énormément, un amour inconditionnel mais aussi une veille permanente sur notre sécurité, à plus forte raison un patou qui a dans les gênes la garde du troupeau contre l’attaque des loups.

Un jour, en allant chercher Benoît à Matabiau, me sentant un peu fatigué j’ai fini par faire une pause sur le bord du chemin. L’endroit était peu éclairé, nous étions avant la ville de Muret.

Dès que je me suis endormi des visiteurs ont commencé à vouloir ouvrir la portière. Ossau en parfait gardien montra immédiatement tous ces crocs prêts à les terrasser sur place, ses grognements m’ont réveillé. Sans lui je pense que j’aurai passé un sale quart d’heure. Maintenant je sais qu’il ne faut jamais s’arrêter dans un endroit trop tranquille et peu éclairé.

Peu de temps plus tard, ma belle-mère voyant les enfants partir peu à peu en pension pour leurs études secondaires a décidé de s’installer à Pamiers. Cela arrangeait en fait tout le monde d’autant qu’en ce temps-là, les enfants pensionnaires au collège étaient rares et qu’ils rencontraient des difficultés à utiliser les interclasses ou leur mercredi pour faire leurs devoirs.

Bernard a été ainsi pensionnaire à Rambaud en 6e et 5e puis externe jusqu’en terminale. Benoît lui a été interne dès la classe de 6e, externe de la 5e à la 3e. Il a ensuite suivi les deux autres années au collège militaire d’Aix en Provence et a souhaité, avec notre complète approbation, revenir à Pamiers pour passer son baccalauréat.

Pierre, profitant de l’appartement de la belle-mère a pu être externe toute sa scolarité. Leurs études secondaires se sont déroulées au Lycée Gabriel Fauré. Après le baccalauréat, respectivement en 1981 et 1983, chacun commence les études supérieures à Toulouse. Ils ont été logés tous deux dans un studio que nous avions acheté proche du Grand Rond, rue Tivoli.

Pierre, lui, a préféré choisir une autre école pour débuter à Bordeaux. C’est ainsi qu’à partir de 1991 le dernier de nos trois fils avait pris également son envol. J’avais alors cinquante-huit ans.

Nos enfants ont fait tous trois de brillantes études de troisième cycle de commerce à Sup de Co Toulouse et Inseec Bordeaux, IAE Aix ou Kedge Marseille.

Leurs expériences et orientations professionnelles les amènent aujourd’hui à occuper des postes de dirigeants de services ou d’entreprises, Benoît et Pierre en région Île de France, Bernard aux USA et plus exactement à Miami.

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