Je suis parti pour mon incorporation sous les drapeaux, à l’âge de vingt ans en 1953. Le service militaire durait en ce temps-là dix-huit mois.
Ma première affectation pour le temps de la durée des classes, environ trois mois, eut lieu à la caserne Espagne à Auch, et plus précisément au 5e Train. Au même titre que l’Infanterie, le « Train » désignait une des Armes de l’Armée Française qui appartenait au commandement de la logistique. Cette arme organisait et coordonnait la logistique et le transport.
Je garde de cette période plus d’anecdotes liées au sport qu’aux faits d’armes !
En effet, à ce moment-là, j’avais délaissé le foot pour me consacrer au rugby et il n’était pas rare de profiter de quelques heures de repos pour aller jouer à Daumazan.
Avec deux ou trois amis militaires, on partait à pied vers la barrière SNCF sur la route Auch-Toulouse et là venait nous chercher un taxi pour faire l’aller-retour Auch-Daumazan dans la journée afin de pouvoir participer à un match local. Bien évidemment tout ceci n’était pas autorisé mais sous réserve de ne pas être en retard, cela pouvait passer inaperçu. Jusqu’au jour où, alors qu’il y avait un épais brouillard sur la route, notre chauffeur s’exclama en patois « putín de putín, los usinas de Pamios 4! ».
Pamiers et son usine métallurgique, l’exact opposé de la route que nous devions prendre pour aller vers Auch !
Entre cette fois-là et nos autres retards quotidiens, on peut dire que nous avons bien connu la « prison » de la caserne. Je pense que si nous n’avions pas été en même temps joueurs de l’équipe de rugby du 5e Train, les sanctions auraient été bien plus sévères. En effet, l’équipe allait s’entraîner régulièrement à Toulouse et en tant que ¾ aile, j’étais bien évidemment du voyage.
Les gradés, qui avaient des ambitions pour cette équipe, ne nous persécutaient pas trop. On nous servait même du bifteck le jour du match et le colonel nous offrait le café à la mi-temps.
Après cette période de classes de trois mois, j’ai été affecté au bureau de recrutement à la caserne Compans- Cafarelli à Toulouse. Tout ceci grâce probablement au rugby militaire que je pouvais ainsi poursuivre.
En fait je n’ai jamais su si c’était la bonne explication, toujours est-il que nous étions quatre à cinq joueurs de rugby affectés là et donc à peine à quelques kilomètres de nos bases, drôle de coïncidence.
En dehors de la paperasse nous avions aussi à assurer des rondes de garde la nuit dans l’établissement.
Pour vérifier que nous faisions bien les rondes nous devions pointer sur un mouchard toutes les deux ou trois heures. Rapidement, un seul pointage a suffi, l’outil ayant été trafiqué utilement pour avoir la paix !
À ce moment-là, on jouait le jeudi contre d’autres équipes de garnison et, pour nous motiver, on nous offrait une permission jusqu’au dimanche soir si l’on gagnait le match.
Et en effet, cela décuplait notre motivation !
Comme beaucoup d’appelés je garde de cette période des souvenirs émus de forte camaraderie avec son lot d’anecdotes et de blagues potaches.
Par exemple, à Compans, un chef de service était très exigeant et très pointilleux sur le respect de l’horaire notamment en direction du personnel féminin militaire ou civil. Tout dépassement de l’heure les obligeait à rendre des comptes auprès de ce petit chef-là.
Comme nous étions de garde la nuit, le matin, on retardait la pendule des bureaux afin qu’elles ne se fassent pas prendre en défaut.
Ayant bien compris le subterfuge, en retour, elles nous préparaient des gâteaux qu’elles nous laissaient sans mot dire. Il y avait entre nous une belle solidarité.
Une autre fois, alors que je disposais d’un bon de permission jusqu’à une heure du matin, je l’ai transformé en sept heures afin de pouvoir passer la nuit chez ma sœur. Au retour, bien mal m’en a pris puisque selon l’expression consacrée je me suis fait « rattraper par la patrouille » et cela m’a valu six jours de cachot ! Enfin «officiellement» car officieusement, comme un match se profilait au quatrième jour, un adjudant est allé négocier avec un autre appelé afin qu’il prenne ma place en prison, privilège du sportif !
Pour finir avec les anecdotes « border line », il faut parler du Brevet Sportif Supérieur Militaire. Ce Brevet était assez difficile à obtenir car chaque épreuve sportive était éliminatoire. Pour la plupart des disciplines, connaissant mon niveau, je ne m’inquiétais pas, excepté pour l’épreuve de natation, un sport dans lequel j’étais particulièrement mauvais.
Je ne savais pas nager, tout juste flotter !
Je me suis permis d’enrôler mon ami, le trois-quart centre de l’équipe, pour me remplacer.
Au moment de l’appel de mon nom, il s’est élancé à ma place tel un champion et a fait un résultat plus qu’honorable. Personne n’a remarqué le subterfuge.
Grâce à lui j’ai obtenu le fameux Brevet et surtout les quatre jours de permission qui allaient avec !
Ce jour-là j’aurais mieux fait d’être collé et de me mettre sérieusement à prendre des cours de natation car plus tard je n’ai pas été capable d’aller chercher un de nos garçons qui se prélassait dans une bouée, laquelle, entraînée dans le chenal qui fait la jonction entre le Lac d’Hossegor et l’océan, le mettait en danger.
Le père d’un jeune homme qui prenait là des cours de natation s’est jeté bravement à l’eau et a pu le ramener. Le maître-nageur voyant cela nous a fortement invités dès le lendemain à apprendre à nager en même temps que les fistons.
Je suis resté là jusqu’à la fin du service militaire, en janvier 1955, mais peu de temps après être rentré chez moi, vu les évènements d’alors en Algérie, on m’a envoyé dans le camp du Larzac afin d’attendre un départ imminent pour ce pays.
Nous étions le dix-sept septembre 1955.
Dans le même temps on nous interdisait toute permission pour rentrer chez nous et nous n’avions aucune information sur ce qui allait se passer. Fâchés par le fait d’être pris ainsi en otage et extrêmement frustrés de ne pas pouvoir tenir nos familles informées, nous avons loué avec une cinquantaine d’appelés, un autobus pour aller voir nos parents, véhicule que nous avons abandonné une fois tout le monde rendu. Quand nous sommes revenus, en représailles, on nous a conduits immédiatement à Marseille pour embarquer avec deux jours d’avance par rapport aux autres sans doute de peur de ne plus jamais nous revoir.
Le bateau s’appelait « Le Pasteur », il était affrété pour la traversée Marseille-Oran ! Ce paquebot de ligne, déjà réquisitionné lors de la guerre d’Indochine accueillait près de quatre mille passagers.

Avant d’accoster définitivement en Algérie il y avait à ce moment-là un passage obligé au Maroc.
C’est donc le lundi dix octobre 1955 que nous avons rallié Oran, plus exactement sur la base militaire de Mers el Kébir puis Casablanca en passant par Fès, Meknès, Rabat, Marrakech, le tout dans des wagons à bestiaux.
On était très loin même du niveau de la deuxième classe ! À Fès, nous devions attendre une correspondance.
La faim nous tenaillant, nous avons décidé d’aller manger au restaurant. Tout à coup, il a fallu d’urgence reprendre le train, résultat nous sommes partis en sprintant sans payer le repas.
Cela fait bientôt soixante-dix ans que je dois un repas à la gare de Fès !
Je n’ai jamais vraiment bien compris comment nous étions dispatchés entre les diverses villes, d’autant que l’on ne savait pas se repérer, certains descendaient à Fès pas forcément sur ordre, d’autres à Marrakech, moi je suis descendu à Casablanca !
Nous devions être un millier de soldats à descendre là et j’ai le souvenir que nous avons fait le tour de la ville avec nos véhicules pendant près de deux heures probablement pour donner l’illusion d’un détachement dix fois plus important.
Comme nous étions bien fatigués et bien poussiéreux suite à notre éprouvant voyage, on nous a installés sous une halle de Casa et avec des arrosoirs à paume percée, nous avons pris nos premières douches exotiques !
En arrivant on m’a demandé de surveiller une école dans laquelle d’ailleurs plus tard nous avons été obligés de rester cloîtrés une bonne dizaine de jours suite à des heurts conséquents.
Les tensions sociales exacerbées par une pleine période de décolonisation n’étaient pas rares.
Après plus d’une semaine nous avons pu sortir pour aller manger au restaurant. Je me souviens que nous étions armés et extrêmement vigilants. La situation était malgré tout sérieuse mais loin d’être équivalente à celle de l’Algérie que je n’ai finalement jamais ralliée.
À cette époque, avant la ratification du traité d’indépendance, des manœuvres existaient encore pour refuser le protectorat Français. Elles étaient contrées par des révoltes fomentées contre l’autorité du sultan Mohamed V. Nous étions là dans ce moment d’histoire qui me dépassait complètement où la politique, avec l’action du Président du Conseil Edgard Faure, a permis une levée progressive du protectorat français.
Le Maroc cheminait donc vers son indépendance qui intervint dans les faits en mars 1956. Les crispations avaient donc globalement vocation à se calmer.
Ainsi début décembre 1955, alors que j’étais libérable, mon retour a pu se faire dans des conditions pas trop mauvaises, cette fois-ci en avion à partir de Casablanca avec une arrivée sur la base militaire de Francazal à Toulouse.